Justice en Guyane

Enquête de Stéphanie Guyon

Contexte

 Les Amérindiens et Noirs-Marrons de Guyane sont longtemps restés en dehors de toute codification juridique coloniale du fait de leur isolement dans la forêt amazonienne, jusqu’aux politiques de francisation des années 1960-1970 qui les ont dotés du statut formel de citoyens de statut civil commun. Depuis 1946, la Guyane relève en outre du statut de département français (régi par l’article 73 de la Constitution). A ce titre elle ne dispose pas de spécialité législative, son autonomie politique est très limitée, et les éventuelles adaptations des dispositifs institutionnels et administratifs à la réalité sociale locale ne peuvent être réalisées qu’aux marges du droit. Dans ce contexte, la prise en compte des spécificités de l’organisation sociale amérindienne et noirs-marrons en matière civile n’est pas institutionnalisée en Guyane. Au sein du système judiciaire, les tribunaux n’ont toujours officiellement appliqué que le droit commun.En l’absence de dispositifs spécifiques, notre enquête porte sur la manière dont l’institution judiciaire appréhende ou non ces spécificités – et le cas échéant, dans quelle mesure et jusqu’à quel point.

Dispositif d’enquête

Le volet institutionnel de l’enquête porte sur les modalités historiques de l’intégration des Amérindiens et Noirs-marrons au système judiciaire et sur l’évolution des formes d’intermédiation (médiation du Service indien de la préfecture, des chefs coutumiers, etc.) à partir d’une analyse des archives (de la préfecture et du tribunal de grande instance de Cayenne). Il s’agit également de saisir les dispositifs contemporains en réalisant une ethnographie du tribunal de Cayenne et de sa chambre détachée à St-Laurent du Maroni (observations des séances, entretiens avec les juges, greffiers et interprètes) centrée sur les procédures judiciaires en matière familiale : la question d’une prise en compte des spécificités coutumières se pose en effet avec acuité dans les cas de divorce, de garde des enfants, de tutelle sur mineurs ou d’adoption.

 Nous renversons ensuite la perspective pour examiner le rapport des Amérindiens et Noirs-marrons à l’institution judiciaire à travers une série d’entretiens à St-Laurent du Maroni au sein de familles ayant fait l’expérience d’adoptions ou de séparations conjugales – dont certaines ont été judiciarisées, d’autres non. Nous étudions ainsi les conditions du recours ou du non-recours à l’institution judiciaire, ainsi que le rôle joué par la médiation familiale et coutumière dans le règlement des litiges familiaux.