Enquête de Edenz Maurice
Contexte
En 1930, un décret gouvernemental crée, à l’intérieur de l’espace guyanais, une nouvelle colonie d’administration directe, qui s’étend au-delà de la zone coloniale côtière et prend le nom de « Territoire autonome de l’Inini ». Dans le domaine scolaire, la création de cette nouvelle circonscription administrative signifie que deux systèmes éducatifs vont désormais coexister, tout en demeurant sous la seule autorité du gouverneur de la Guyane. La loi du 19 mars 1946, qui transforme la colonie proprement dite de la Guyane en département français et, en ce sens, entérine l’achèvement du processus d’assimilation politique et culturelle de ce territoire à la République, ne met pas fin à cette coupure coloniale. Peuplé majoritairement d’Amérindiens et de Marrons, relégués dans le champ des « Primitifs » ni sujets, ni citoyens, l’Inini reste soumis au régime colonial.
En vue de lui permettre d’intégrer le département de la Guyane, la loi du 14 septembre 1951 substitue au Territoire de l’Inini un arrondissement homonyme, doté d’un statut particulier pendant une période de dix ans. Cet arrondissement de l’Inini dispose d’un budget autonome préparé par un Sous-préfet, qui réside à Saint-Laurent, et voté par un Conseil d’arrondissement, qui a les attributions d’un Conseil municipal. Autrement dit, l’Inini échappe à nouveau aux compétences du Conseil général et dans le champ scolaire à celles du ministère de l’Éducation coloniale, pourtant en charge depuis 1946 de la politique et l’organisation des différents services de l’enseignement en Guyane. En somme, en ce qui concerne l’Inini, le Préfet de la Guyane et le Sous-préfet de l’Inini possèdent, jusqu’à la fin des années 1960, les pouvoirs dont disposait le Gouverneur de la Guyane.
Cependant, à partir de 1961, date à laquelle l’arrondissement de l’Inini n’a en théorie plus d’existence légale, se pose avec acuité la question de l’intégration des Amérindiens et des Marrons dans le système départemental et, partant, celle de l’obligation scolaire. Les débats opposent divers acteurs relevant du champ politique, religieux, éducatif et scientifique, chacun de ces acteurs promouvant sa vision des formes que doit prendre l’éducation des populations désormais catégorisées comme « tribales » et, ce faisant, son champ de compétences et d’expertise. En mars 1969, un décret gouvernemental met fin à la législation d’exception que représentait l’arrondissement de l’Inini de sorte que Amérindiens et Marrons obtiennent la pleine citoyenneté française cependant que l’Éducation nationale devient la seule autorité administrative de l’enseignement public du département. De nos jours, cette dernière est encore confrontée aux enjeux que posent l’expression des cultures autochtones guyanaises dans les écoles et la mise en œuvre de dispositifs administratifs pour la favoriser.
Dispositif d’enquête
L’enquête portera sur les enjeux de l’intégration des Amérindiens au système scolaire à partir de deux entrées. D’une part, elle s’attachera à reconstituer les conditions de l’entrée, au tournant des années 1970, des Kali’na de deux communes du littoral (Mana et Saint-Laurent du Maroni) au sein des établissements scolaires publics, lesquels concurrencent les internats catholiques (« les « homes indiens »), jusqu’alors en charge de leur scolarisation. D’autre part, elle examinera en quoi à Camopi, l’un des villages les plus méridionaux et les plus reculés du département, la scolarisation des Wayãpi, confiée par l’administration préfectorale à des ethnologues à partir des années 1950, a revêtu des formes précoces alternatives au modèle des homes de la côte.
L’analyse reposera autant sur l’exploitation d’archives institutionnelles (archives de l’évêché catholique, de la préfecture de Guyane, de la sous-préfecture de Saint-Laurent, des rectorats de Bordeaux et de Cayenne) que celle de sources privées d’ethnologues (Suzy Vianès-Charpentier, François et Pierre Grenand, Jean Hurault) et la réalisation d’entretiens avec d’anciens enseignants et élèves amérindiens, ayant vécu ces moments historiques.